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1097696 Ethics, Medicine and Public Health 2015 9 Pages PDF
Abstract

RésuméOrdinairement, l’utilitarisme n’est pas une philosophie du sujet et, quand il l’est, ce qui semble être le cas de celui de R. M. Hare, dont nous nous inspirons ici, ce n’est évidemment pas dans le sens où le sont le kantisme ou la phénoménologie. Dès lors, la question de la personne et de l’altérité – ou de l’intersubjectivité – ne se pose pas dans les mêmes termes. Les centres autour desquels se structure le jeu des passions, des intérêts, des sensations et des idées ne coïncident pas forcément, aux yeux d’un utilitariste, avec les individus, dont la notion est problématisée sans être posée a priori. L’organisation qui est faite de ces centres et qui a lieu à chaque situation nouvelle en fonction du principe d’utilité – qu’il s’agisse d’assurer « le plus grand bonheur du plus grand nombre » ou de tenir compte des « préférences » qui se font jour ou qui s’expriment dans tel ou tel groupe – connaît des individus aux contours variables, dont la conception classique de la « personne » (surtout quand elle est définie par son « autonomie ») ne saurait rendre compte. La conception que Hare se fait du sujet paraît essentiellement méthodique et elle est destinée à fournir la commensurabilité dont les calculs ont besoin. Je considère « ce que cela me ferait d’être dans la situation où se trouve un autre » et je tente d’envisager la situation avec ses propres valeurs. De même, j’envisage au présent les situations que je projette dans le passé et, surtout, dans l’avenir. Il s’agit moins de « sympathie » que de construire les matrices d’un « calcul » ; étant entendu que ce calcul nous est intimé et que, d’une certaine façon, il est toujours fait, bien ou mal. Le propos de Hare est de rechercher les conditions auxquelles le calcul est le meilleur possible ; c’est sa force : c’en est aussi la limite car, comme les utilitaristes de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle (Bentham), il semble que Hare se tienne aux réquisits du calcul et qu’il ne montre pas comment il les dépasserait pour affronter ses véritables difficultés. Les maillons manquants de l’utilitarisme sont de deux ordres : (1) Les calculs éthiques ont beau être préparés, promis : ils ne sont pas faits ; d’une certaine façon, il manque un calcul intermédiaire entre les réflexions de Moral thinking et les calculs tels que les économistes et les théoriciens des jeux savent les faire. Il faut même aller plus loin et oser dire que les opérations fondamentales de ces calculs ne sont pas assurées : sont-elles des sommations de plaisirs étant défalqués les déplaisirs ? Des calculs de probabilités sur les espérances de gain et de perte de plaisirs ? Des fractions d’un plaisir maximal aux limites indépassables ? Des classements de nature purement ordinale sans aucune portée cardinale ? (2) La promesse d’un discours propre à l’éthique, dont l’exigence réapparaît périodiquement sans grand succès, n’a donné lieu chez Hare qu’à ce qu’on pourrait appeler une « éthique par provision », puisqu’elle se sert d’un sujet qui ressemble au sujet transcendantal kantien alors même que l’utilitarisme rend sa position délicate. Il nous semble que l’effervescence qui a lieu autour de l’éthique des soins et de la bioéthique depuis quelques décennies, d’abord dans les pays anglo-saxons, puis en France, soit de bon augure et que l’on trouvera, pour l’éthique, un discours qui ne soit ni celui des morales, ni celui des religions, ni celui du droit, mais un discours réellement et authentiquement intermédiaire, qui ne joue pas son rôle seulement par un effet de Doppelgänger, de doublure réflexive, comme le dit Hare.

SummaryUsually, utilitarianism is not a subject-philosophy, and when, contrary to its general practice, it is one, – as Hare's utilitarianism seems to be –, it is not in the same sense as Kantism or phenomenology. So, the matters of person, otherness, intersubjectivity are not dealt with utilitarianism as with the other philosophies. The centres around which a collection of passions, interests, sensations and ideas is framed do not necessarily coincide with individuals, whose notion is questioned, without being a priori settled. The organization of the “centres”, that is different in every new circumstances, even if it depends on the “principle of utility” – “the greatest happiness for the greatest number”, or any other principles expressed in terms of “preferences” –, deals with variously shaped individuals that cannot be confused with the classical persons (particularly when they are characterized by autonomy). Hare's conception of the subject seems to be essentially methodical and it is intended to supply the commensurability needed by calculations. I consider “what it would be like for me to be in the same situation as another”. In the same way, I consider the past or the future situations as if they were present. The question is less a matter of sympathy than a matter of gathering and constructing the conditions of a calculation; it being understood that the calculation cannot remain undone and that it is always done, right or wrong. Hare's purpose is to search the conditions to be fulfilled by the best possible calculation; such is its strong point; but it is also its limitation, for, like the utilitarian philosophers of the end of the 18th century and of the beginning of 19th century (Bentham for instance), Hare appears to have confined himself to the requisites of a calculation and to be incapable to overstep them and face the true calculations. The missing links of utilitarianism are two in numbers: (1) The doctrine promises ethical calculations: they are prepared, but they are not done; in a way, a medium calculation is missing between Moral thinking's reflections and the calculations that the economists and the game-theorists are able to make. We must go further and dare say that the fundamental operations of these calculations are not assured: are they summations of pleasures, being deducted the displeasures? Are they probability calculations of expectations? Are they calculations of the division of an impassable maximum pleasure? Are they classifications according to ordinal numbers rather than cardinal ones? (2) The promise of a discourse proper to ethics permitted Hare to elaborate what could be called “a provisional ethics” for it uses of a subject equivalent to Kantian transcendental subject, just when utilitarianism makes tricky to settle the subject. It seems that the effervescence observed nowadays in “care ethics” and bioethics, first in Anglo-Saxon countries, then in France, is a good omen and that the ethics will find a discourse different from morals, from religion and from law; a discourse really and truly intermediate, that does not simply play part as an effect of Doppelgänger, of reflexive double (as Hare called it).

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