Introduction : gouverner et soigner

RésuméLa psychiatrie en France est née dans un contexte politique particulier, la période révolutionnaire et post-révolutionnaire. Dès sa naissance, à la fin du xviiie siècle, elle a été en lien avec le politique. Nous partirons d’un texte qui précède de peu la Révolution française, la circulaire de Colombier et Doublet, datant de 1785, qui contient un véritable programme d’organisation et de soins issu des idées philanthropiques de la philosophie des Lumières. Ce programme porte en germe la possibilité même de la naissance d’une discipline nouvelle, la médecine des insensés, en lien avec la curabilité de la folie, version médicale de la notion de régénérescence chère au courant philanthropique du xviiie siècle. L’imbrication du politique et de la psychiatrie peut être étudiée à la lumière des évolutions parallèles de la psychiatrie et des régimes politiques qui se sont succédé au cours du xixe siècle, à travers aussi certaines expressions de la clinique psychiatrique elle-même, comme en témoigne la prégnance du politique dans les représentations mentales dont on trouve l’écho dans certains délires. L’étude des liens entre politique et psychiatrie amène à envisager la sécularisation du discours et des institutions psychiatriques, l’origine et les conséquences de la loi de 1838 ainsi que les critiques qui lui ont été rapidement adressées. Il convient également de réfléchir aux enjeux politiques de la classification des maladies, aux rapports du psychiatre avec la justice et aux usages éventuellement répressifs de la psychiatrie. Enfin, l’organisation des soins et la réflexion sur l’espace architectural et plus généralement sur l’espace thérapeutique ont affaire de facto à des choix politiques.

French psychiatry was born in a particular political context: that of the revolutionary and post-revolutionary period. From its beginning, at the end of the 18th century, it was linked to the political realm. We will start with a pre-revolutionary text: The 1785 Colombier and Doublet memorandum containing a genuine program of organization and of care originating from the philanthropic ideas of the Enlightenment philosophy. This program contained the seeds of the very possibility of the birth of a new discipline, the medicine of the insane linked to the curability of madness, a medical version of the notion of degeneracy the 18th century philanthropic current was fond of. Later, the imbrication of politics and psychiatry may be studied by way of the parallel evolutions of psychiatry and of the successive political regimes of the 19th century, and also through some expressions of clinical psychiatry itself, as may be seen by the presence of the political in the mental representations found in some forms of delusion. The study of links between the political and psychiatry leads us to consider the secularization of discourse and of psychiatric institutions, and to examine the origin and consequences of the 1838 law as well as the criticisms rapidly leveled at it. The political stakes of classifying illnesses, the relations of psychiatry with justice and the eventual repressive uses of psychiatry should also be considered. Finally, the organization of care and the design of the architectural environment and more generally of the therapeutic environment are also related de facto to political choices.