Le dedans mis au-dehors : parcours de patients atteints d’un cancer du péritoine

RésuméObjectifsCet article s’appuie sur une recherche visant à recueillir les récits du vécu de patients atteints d’un cancer du péritoine. Elle prend en considération les effets au quotidien des traitements qui lui sont liés (Chimiothérapie Hyperthermique Intra-Péritonéale, chirurgie et, dans certains exemples pris en compte dans ce propos, pose d’une poche de stomie temporaire).MéthodeL’étude a été menée selon une approche en sciences humaines et sociales pluridisciplinaire (anthropologie, psychologie, philosophie, médecine). Elle a consisté en la mise en œuvre d’observations in situ et la conduite de 58 entretiens non directifs et semi-directifs d’une vingtaine de personnes, atteintes d’une carcinose péritonéale.RésultatsCes récits recueillis articulent le complexe processus de subjectivation permettant de produire du sens, de mettre de l’ordre au sein du désordre, corporel comme social, lié à la situation pathologique. Ils rendent possible l’attention portée aux effets vécus de la maladie et du processus thérapeutique dans lequel les personnes sont inscrites.DiscussionLe cancer du péritoine entraîne des traitements chirurgicaux et chimiothérapiques extrêmement invasifs. De la consultation préopératoire, au passage par l’environnement hyper-technicisé des soins intensifs jusqu’au retour parfois difficile au domicile, les patients traités font ainsi l’expérience d’une progressive extériorisation de leur intimité corporelle, extériorisation qui, dans le cas de l’adjonction temporaire d’une poche de stomie, peut prendre un sens particulièrement aigu. Cette prothèse, tout en permettant le maintien des fonctions physiologiques primaires, participe, en effet, du dérèglement de la représentation du schéma corporel dans son ensemble déjà modifié par la présence du cancer.ConclusionAu travers de ces « états de corps » bousculés, il s’agit, pour le patient malade et stomisé, non seulement de s’ajuster à une nouvelle situation fragilisée traduisant tant sa vulnérabilité physiologique, psychique que relationnelle que de vivre avec un artefact qui rend visible, au quotidien, des processus digestifs usuellement dissimulés, cachés dans les tréfonds des entrelacs organiques. Plus largement, cette « mise au dehors du dedans » caractérise un ample bouleversement des repères et des techniques du corps ordinaires avec lesquels la personne devra apprendre à composer.

ObjectivesThis article is based on an analysis of the narratives of patients under treatment for cancer of the peritoneum. We consider the everyday effects of this particularly invasive intervention (Hypothermic Intraperitoneal Chemotherapy, surgery, and, in a number of cases, the temporary use of an ostomy pouch).MethodThe study used a multidisciplinary approach drawing on the social sciences (anthropology, sociology, psychology, philosophy and medicine). We conducted in situ observations and carried out 58 semi-directive and non-directive interviews with twenty patients diagnosed with peritoneal carcinoma.ResultsThe patients’ narratives illustrate the complex process of subjectivation that helps them to make sense of their situation, enabling us to observe how they put order in their social and bodily world, doubly disrupted by the disease and its treatment. The narratives give access to the lived experience of the disease and its therapy, circumstances that dominate the lives of these people at this time.DiscussionPeritoneal cancer is currently treated using extremely invasive surgery and chemotherapy. From the preoperative consultation to their time in the high-tech environment of intensive care, and their sometimes difficult return home, patients in the course of treatment progressively experience an exteriorization of their most intimate bodily functions. This exteriorization finds its clearest symbolic manifestation in the colostomy pouch. While this prosthesis enables the maintenance of essential physiological functions, it also interferes with representations of body image, already affected by the cancer and its treatment.ConclusionThe bodily state of the patients under treatment for peritoneal cancer, and in particular those who undergo a colostomy, is dramatically altered, calling for an adjustment to a new, fragile state. This means that the patient not only has to cope with his or her physiological, psychological, and relational vulnerability, but will be also living with an artefact that lays the digestive function, normally hidden, permanently open to view. Thus, this exposure of what is normally a hidden interior function, this turning inside out, is at odds with the image of what constitutes a normal body, adding to the challenges faced by the patient in this situation.