Penser le doute avec Freud. Entre contrainte et travail psychique

RésuméObjectifsLa théorie freudienne a bouleversé la tradition philosophique, fondée sur une conscience réflexive dont le pivot méthodique était le doute. En balayant cette vision du sujet centré sur la conscience, qu’advient-il de la notion de « doute » (zweifel) en psychanalyse ? L’intention de l’article est de retracer pas à pas les mutations qui entourent ce terme, afin de suivre le mouvement de la pensée freudienne.MéthodeLa lecture littérale et interprétative des textes freudiens vise à dégager et à contextualiser les diverses acceptions du terme de doute pour en proposer une problématisation originale. Cette mise au point rendra visible la conflictualité intrinsèque de la notion de doute, qui, d’une certaine manière, fait écho au mouvement même du processus psychique lui-même.RésultatsL’héritage psychopathologique situe le doute comme symptôme majeur de la névrose de contrainte. Cependant, à partir de la conceptualisation de la pulsion de mort, le doute se décale de la répétition pour s’inscrire du côté de la liaison. Avec la reprise du concept de clivage, l’article soutient que le si le doute est dans un premier temps du côté de la contrainte et de l’angoisse, il témoigne aussi de l’existence d’un travail psychique.DiscussionLe doute peut dès lors être envisagé comme une réponse à une poussée pulsionnelle, à une déstabilisation du clivage, dont l’un des destins est la cognition. Si le doute philosophique est bien une vertu morale et intellectuelle, il est néanmoins mû par l’angoisse.ConclusionsL’intégration de l’expérience d’angoisse, dont la forme intellectuelle privilégiée est le doute, serait au service du narcissisme. Au premier temps de la déliaison succède un travail de liaison. L’article conduit à envisager la « mise en doute » comme un processus dynamique qui relève d’un travail de dégagement de la rumination mortifère.

ObjectivesThe Freudian theory revolutionized the philosophical tradition based on a reflexive consciousness, the methodological pivot of which was doubt. By sweeping this view of the subject-centered consciousness, what happens to the notion of “doubt” (zweifel) in psychoanalysis? The intention of this article is to trace step by step the mutations around the term, so as to follow the movement of Freudian thought.MethodThe literal and interpretive reading of Freudian texts is aimed at extricating and contextualizing the various significations of the term “doubt” so as to propose an original problematization. This readjustment will reveal the intrinsic conflictuality of the notion of doubt, which in some ways echoes the impulse of the mental process itself.ResultsClassically, psychopathology considers ‘doubt’ as a major symptom of obsessional neurosis. However, with the conceptualization of death instincts, doubt shifts away from repetition compulsion to join the principle of bonding. With the introduction of the concept of splitting, this paper argues that if, at first sight, doubt and anxiety seem to be similar, doubt also demonstrates the existence of mental work.DiscussionDoubt can therefore be seen as a response to drives, to a destabilization of splitting, one of the destinies of which is cognition. If the philosophical doubt is a moral and intellectual virtue, it is still driven by the question of anxiety.ConclusionThe integration of an experience of anxiety, the preferential intellectual form of which is doubt, would hence serve narcissism. A work of bonding succeeds the initial phase of unbinding (Entbindung). The article infers that one should consider questioning doubt as a dynamic process that requires a work of disengagement from deadly rumination.